Fictions de l’imaginaire et réalisme

par | 20 06 15 | Ecriture | 2 commentaires

imaginaireCela fait un petit moment que je n’ai pas eu l’occasion d’écrire un article relatif à l’écriture pure, et le début de la phase de rédaction pour notre nouveau projet (une trilogie de Fantasy) m’a donné envie d’aller creuser un sujet qui me tient à cœur : celui du réalisme dans les livres de fiction qui appartiennent au genre de l’imaginaire.

Pour faire court : Fantasy, Fantastique et Science-fiction, que je regroupe ici sous le libellé LI (littérature de l’imaginaire) pour les besoins de cet article.

En effet, dans les histoires qui s’appuient sur des éléments/personnages/mondes/etc. qui ne sont pas réels, le réalisme est d’autant plus important que le lecteur doit faire un effort supplémentaire pour entrer dans le récit et y trouver une forme de crédibilité qui va conditionner son intérêt pour l’histoire.

Contrairement à ce qu’on pourrait naturellement penser, le réalisme est plus important encore dans ce type de fiction qu’il ne l’est en littérature « générale », car l’erreur serait de croire qu’on peut tout se permettre avec ce genre de livres, dans la mesure où justement le monde dépeint n’appartient pas au domaine du réel.

En fait, le réalisme est la caractéristique la plus importante qu’un auteur de LI doit parvenir à mettre en place dans son récit.
Car c’est sur ce réalisme que toute l’expérience de lecture va s’appuyer.
Et ce n’est pas facile, car le réalisme est un paramètre souvent délicat à manipuler.

C’est pourtant sa présence qui va permettre à un lecteur d’accepter sans broncher que des animaux puissent discuter, qu’un combat spatial se tienne dans une autre galaxie ou que la voisine du héros soit une sorcière tout droit téléportée du Moyen Âge.
Et c’est son absence qui va faire qu’une scène a priori plus banale dans le livre, bien que « réelle », ne semble pas du tout « réaliste ».

Parfois, un vol de dragons paraît bien plus crédible qu’une discussion entre deux vendeurs de supermarché.
Pourquoi ? Parce que l’auteur manie parfaitement les codes du réalisme.

Ce réalisme de fiction comporte en fait deux facettes principales, toutes deux indispensables pour que votre livre soit lu avec intérêt, facettes que l’on peut présenter ainsi…


Le réalisme interne

Il s’agit de la cohérence, de la logique (même tordue !) qui règne dans le monde dépeint.

Si vous écrivez une histoire où les chiens parlent, cela ne posera pas de problème au lecteur, à partir du moment où il peut comprendre pourquoi et comment les chiens en question sont capables de parler, et où ces chiens suivent une logique générale qu’il est possible de rendre rationnelle, si le lecteur doit l’analyser et la résumer.

En ayant les clefs nécessaires pour trouver une cohérence au monde que vous lui proposez, il adhérera sans problème aux hypothèses les plus extravagantes.


Le réalisme externe

Il s’agit des éléments plus émotionnels qui permettent au lecteur de s’identifier au monde et à ses personnages, en leur trouvant des points d’accroche qui rendent le reste facile à admettre, tant dans les descriptions que les sentiments.

Des personnages venus d’un autre monde peuvent sembler parfaitement réels aux yeux du lecteur s’il trouve en eux des émotions et comportements qui font écho à sa propre expérience humaine.
Par exemple, un chevalier peut tout à fait combattre un dragon, si en parallèle il a des problèmes de dettes. C’est le second point qui permet de faire accepter le premier.

Cette connexion est nécessaire et essentielle pour que le lecteur se sente concerné par le monde que vous lui proposez.


Les conséquences du manque de réalisme

Les deux facettes évoquées sont complémentaires et toutes deux nécessaires en LI.

  • Sans réalisme interne, votre monde n’a pas de codes, est incompréhensible et illogique : votre lecteur ne peut pas y adhérer.
  • Sans réalisme externe, votre monde paraît artificiel, ne provoque pas d’émotions personnelles : votre lecteur ne se sent pas concerné.

En résumé, il est donc indispensable de travailler conjointement ces deux aspects du réalisme, afin de proposer au lecteur un univers qui satisfera à la fois son cerveau et son cœur.


Quelques « outils » pour établir le réalisme dans un ouvrage de LI

Ces exemples sont tout sauf exhaustifs, mais sont à mon avis une base solide pour qu’un récit de LI tienne la route.

  • Préparez soigneusement un monde détaillé
    Ne vous lancez jamais dans un récit de LI sans avoir prévu en amont le moindre détail. Plus vous êtes loin dans l’imaginaire, plus vous devez soigner cette préparation.
    Politique, économie, vie quotidienne, habillement, règles sociales, décor, technologie, arts, pratiques religieuses, végétation, bestiaire, etc. : vous devez connaître en amont le moindre détail de ce monde à faire vivre, sous peine de ne proposer aucun réalisme interne.
  • Testez la cohérence de votre monde
    Indépendamment de votre histoire, amusez-vous à placer mentalement l’un de vos personnages dans une situation que vous n’avez justement pas prévue pour l’utiliser dans le récit (un procès, un accident, un voyage, etc.).
    Êtes-vous capable de résumer en quelques secondes ce qui lui arriverait dans telle ou telle situation, d’après les règles que vous avez mises en place pour ce monde ?
    Si ce n’est pas le cas, vous n’avez pas assez travaillé les codes de votre univers et vous ne le maîtrisez pas suffisamment. Retour au point précédent.
  • Travaillez les aspects émotionnels de chaque personnage
    Ne vous lancez pas non plus dans un récit de LI si vous n’avez pas soigneusement préparé vos personnages pour tout ce qui touche au domaine émotionnel.
    Cet aspect est bien plus important que la couleur de leurs cheveux : qui sont-ils à l’intérieur ?
    Quelques questions auxquelles vous devez avoir toutes les réponses : d’où viennent-ils, qu’aiment-ils, que détestent-ils, de quoi ont-ils peur, quel est leur principal défaut, quelle est leur qualité majeure, qu’est-ce qu’ils recherchent, qu’est-ce qui les motive, etc. ?
    Encore une fois, amusez-vous à vous poser des questions hors récit pour chacun d’eux, afin de tester votre degré de connaissance à leur sujet.
    Par exemple, demandez-vous : s’il arrivait à mon personnage X de perdre subitement ses parents, quelle serait sa réaction ? Tristesse, colère, effondrement, mutisme, folie… ?
    Vous n’en savez rien ? Votre personnage est encore trop brouillon et manque de réalisme externe. Il vous faut étoffer sa fiche.
  • Soignez vos descriptions
    Cet aspect touche à la fois au réalisme interne et externe.
    En donnant suffisamment de matière « visuelle » au lecteur, vous lui permettrez de comprendre votre monde tout en s’y connectant émotionnellement.
    Soyez empathique par anticipation et mettez-vous à sa place : de quels éléments a-t-il besoin pour se constituer peu à peu une carte mentale des paysages, des couleurs, des sons, des odeurs, des personnages etc. de ce monde que vous lui proposez ?
    Même si vous lui apportez ces informations au fil de l’eau, vous devez en permanence vous rappeler qu’il part de zéro, alors que vous savez (a priori) déjà tout du monde en question. Cet accompagnement est nécessaire et repose sur une multitude de détails indispensables qui ne doivent surtout pas être négligés.

Bien sûr, ces quelques points peuvent également être utiles en fiction « générale ».
Mais ils deviennent critiques pour la LI, car vous pouvez à tout moment tomber dans le piège de la facilité, en fuyant sans trop de complexes les explications dont votre lecteur a besoin, sous prétexte que l’histoire se déroule dans un monde qui n’existe pas et qu’on peut tout expliquer à l’aide de pirouettes bien pratiques.

Faire cela, c’est tuer à coup sûr tout réalisme dans votre récit et vous détourner du lecteur.

Pour vous donner un ordre d’idée, notre nouvelle trilogie représentera à terme presque plus de temps de préparation que d’écriture : nous avons bâti un monde de A à Z (même s’il est proche de notre monde réel), en y établissant tout ce qui le fait tourner, et cela représente des dizaines d’heures de construction, avant d’avoir écrit la moindre ligne, avant même d’avoir préparé le découpage de l’ensemble et du premier volume en particulier.
Nous avons commencé cette préparation en février et l’écriture a commencé seulement cette semaine.

Ce travail de fourmi en amont est d’ailleurs libérateur pour l’auteur de LI : l’écriture elle-même est plus rapide, plus évidente, car le monde que vous avez en tête est complet et vivant, rendant chaque scène facile à peindre dans ses moindres détails sans devoir vous arrêter toutes les deux minutes pour vous poser des questions sur tel ou tel point.

Bien sûr, la phase d’écriture sera d’autant plus facilitée que vous aurez en parallèle structuré en amont tout le plan de votre récit… mais cela est le sujet d’un autre article à venir. 🙂

En espérant que celui-ci vous aura intéressé, merci à tous pour vos partages et à bientôt !

Hélène

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2 Commentaires

  1. Fuentes Manou

    Moi qui n’ecrit pas ce genre de fiction, je trouve cet article très bien vu et très bien écrit. Si un jour je me lance….
    Bises

      (Citer)  (Répondre)

    Réponse

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