Carte blanche à J.Heska – Pourquoi j’ai décidé de quitter mon éditeur (et de m’auto-éditer)

Carte blanche à J.Heska – Pourquoi j’ai décidé de quitter mon éditeur (et de m’auto-éditer)

Carte blanche à J.Heska – Pourquoi j’ai décidé de quitter mon éditeur (et de m’auto-éditer)

bye bye

(Cet article a été écrit par notre ami et collègue J.Heska – que nous remercions d’avoir accepté notre invitation – et s’inscrit dans une nouvelle rubrique : « Carte blanche à… ».
Vous êtes auteur, blogueur littéraire, vous appréciez notre ligne éditoriale et vous avez vous aussi envie de venir mettre votre grain de sel sur ce blog ? Contactez-nous !).

Lorsque le collectif M.I.A m’a sympathiquement convié sur ce blog, sachant que je voulais depuis longtemps cracher ma rancœur sur le monde de l’édition (mais étant bien trop lâche pour le faire sur mon propre site web) je me suis dit que je tenais là une occasion en or !

Laissez-moi donc, cher visiteur, vous esbaudir en vous contant une belle histoire : Il était une fois un jeune auteur plein d’espoir et de naïveté qui croyait en son talent. Après des années de galère, d’espoirs déchus, de fausses promesses, cet ingénu pensait enfin accéder à la gloire éternelle en signant un contrat avec un éditeur (un vrai de vrai, pas un de ces arnaqueurs qui pullulent sur le net). On lui colla une belle équipe avec une attachée de presse, un graphiste, un correcteur, un distributeur, et plein d’autres gens censés faire de son roman un succès. Le petit ouvrage sans prétention, Pourquoi les gentils ne se feront plus avoir, sortit le jour de la Saint Valentin. Notre petit auteur se démena comme un beau diable pour en faire la promotion, et eut même la fierté de voir estampillé son bébé « best-seller » 2011.

Bonheur parfait ? Pourtant un an plus tard, dégoûté par le milieu, il décida de tout plaquer et d’auto-éditer son second ouvrage, On ne peut pas lutter contre le système.

Pour quelles raisons ? Que s’était-il passé ? Pourquoi a-t-il décidé de quitter son éditeur ? Voilà une réponse poing par poing (rho, mais oui, la faute d’orthographe est volontaire !)

Un éditeur, ça ne fait pas son boulot

Désacralisons immédiatement l’image de l’éditeur passionné caché derrière une pile de manuscrits recherchant fébrilement sa pépite. Un éditeur, c’est un chef de projet. Il pourrait bosser dans l’alimentaire, dans la pharmacie, ou dans les papiers toilette. Mais là, il sévit dans une maison d’édition.

Son rôle est d’être l’interface des professionnels qui vont réaliser un bout de prestation (le comité de lecture, le diffuseur, l’attaché de presse, le distributeur, etc.), d’assurer la cohérence de l’ensemble, vérifier que le planning est tenu, trouver des solutions en cas de conflits. Or, si le chef de projet ne s’acquitte pas bien de ces tâches, c’est tout le projet qui part en vrille : le graphiste massacre la couverture, le correcteur bâcle son boulot, l’imprimeur imprime le roman sur du papier toilette (décidément), le distributeur le traite par-dessus la jambe, l’attachée de presse va siroter des cocktails sans même penser à faire son travail, etc.

L’incompétence est difficile à déceler chez un chef de projet, car elle ne se voit que sur le long terme. Et inutile de signaler que la profession regorge de ce genre de personnages, people, « fils de », starlette, « coopté », etc.

Notre jeune auteur se retrouva ainsi fort marri lorsqu’il constata que son éditeur, l’homme à qui il avait confié son bébé, l’homme qui l’avait sélectionné, lui, parmi des milliers de manuscrit, qui avait investi des sommes non négligeables, et qui devait normalement se dévouer corps et âme, n’avait en fait jamais pris la peine de lire son roman et préférait avaler des petits fours dans les dîners mondains pour se faire brancher par de jeunes midinettes prêtes à tout pour publier leur torchon. Après s’être longuement interrogé, notre béotien prit son courage à deux mains et osa interpeller sur cet apparent paradoxe. Hélas, il n’obtient jamais de réponse réellement satisfaisante.

Un éditeur, ça ne permet pas d’être diffusé en librairie

Encore une image sacrée que je foule du pied avec un plaisir sadique ! L’erreur de tous les petits nouveaux lors de leur première publication : confondre éditeur et distributeur. Car si être édité chez Gallimard et consorts assure un minimum de visibilité en librairie (encore que, tout le monde n’est pas Houellebecq ou Marc Lévy), trouver un petit éditeur de province n’assure pas du tout ce Graal, loin de là !

C’est le distributeur qui place les romans dans les Cultura de France, personne d’autre. Lui qui va faire, par l’intermédiaire de ses commerciaux, la promotion des livres. Lui qui va permettre un placement en tête de gondole, sur tablette, ou relégué au fond des rayons. Lui qui va empêcher un turn-over d’une semaine.

Bref, lui qui tient le destin des auteurs entre ses mains. Si la maison d’édition n’a pas de distributeur (ou un petit distributeur présent uniquement dans 10 librairies de Bretagne), cela ne sert à rien d’insister, car ce n’est guère mieux que de l’auto-édition.

Notre jeune auteur fut fort aise, malgré son erreur initiale de ne pas s’être renseigné, de bénéficier des services d’un grand distributeur (dont le nom rime avec « machette » et qui est en fait une petite « hache ». Oui, c’est bien Hachette). Au prix d’efforts insurmontables auprès de son éditeur pour que celui-ci accepte de faire son travail, il réussit contre toute attente à être exposé en librairie et à percer ! Quelle joie, quelle félicité !

Las, son succès devint malédiction. Les livres partirent comme des petits pains. La rupture de stock survint moins de trois semaines plus tard. L’éditeur n’avait pas prévu de réapprovisionnement. Disparition des tablettes, oubli. L’éditeur incompétent mit plus d’un mois pour faire jaillir des rotatives de nouveaux exemplaires. Le distributeur n’en voulut plus. C’était fini. « De toute manière, on a rien perdu, le turn-over pour un primo-romancier est aussi important que celui d’un rouleau de papier toilette dans un fast-food lors d’une épidémie de gastro », rétorqua l’éditeur. Bien qu’il eut probablement raison, cela n’empêcha pas notre auteur de vouloir lui arracher les jambes.

Un éditeur, ça négocie très mal le virage numérique

Il suffit de se connecter sur les plates-formes numériques pour se rendre compte de l’arnaque généralisée. Un livre numérique au prix d’un livre papier ! De qui se moque-t-on ? On ne peut pas mettre sur un pied d’égalité (tarifaire) un livre fait avec de vrais arbres (donc un support matériel qu’il va falloir fabriquer, acheminer, mettre en rayon, etc.) et un contenu dématérialisé multipliable à l’infini. Le consommateur qui a déboursé 100 euros pour son lecteur numérique (Kindle ou Kobo), ne le tolère plus, et il a bien raison !

Les éditeurs auront beau tenter de se justifier, ils n’ont aucune excuse : l’énorme marge bénéficiaire est bien monopolisée par eux-mêmes. On se dirige tout droit vers une paupérisation des auteurs acceptant de telles conditions. Et lorsque le système s’effondrera (tout comme celui des maisons de disques il y a quelques années), ce sont encore les petits écrivains qui paieront les pots cassés. Mais point d’inquiétudes ! Marc Lévy, Bernard Werber et Guillaume Musso sentiront à peine la vague passer.

Il existe également certains esprits chagrins pour dire que le livre numérique ne marchera jamais en France. Il ne faut pas se leurrer (et n’en déplaise aux irréductibles qui déclament leur amour poétique du support « j’adore m’enivrer de l’odeur du papier (toilette), du craquement des feuillets sous mes doigts, bla bla »), la révolution du livre numérique est en marche et s’accélère. En tant qu’auteur, rater le coche parce que les éditeurs n’ont pas encore compris la puissance du dispositif, c’est idiot.

Il ne faut pas s’étonner ni déplorer que des géants comme Amazon s’engouffrent dans la brèche béante laissée par la sottise d’une industrie vieillissante.

Notre jeune auteur, malgré toute sa motivation, ne réussit jamais à faire baisser le prix de son roman numérique. Malgré les beaux graphiques qu’il transmit (et indiquant en résumé qu’il valait mieux en vendre 10 à 2.99 € qu’un seul à 14,95 €), l’éditeur ne voulut rien entendre… Sa frustration n’en fut que décuplée quand il constata que des outils disponibles sur Amazon (Apple, c’est encore un peu compliqué) permettait une diffusion rapide, efficace, peu onéreuse, et même d’augmenter ses marges !

Un éditeur, ça prend trop de marge, ça paye mal, et ça arnaque

Reconnaissons là un brin de mauvaise foi (juste un doigt). Car l’éditeur n’est pas celui qui pique le plus dans l’assiette, le distributeur et le libraire se goinfrent largement au passage. Le résultat reste le même, car l’auteur, tout comme l’agriculteur, nourrit grassement une chaîne de professionnels alors qu’il parvient à peine à joindre les deux bouts. Je faisais un calcul économique dans un de mes articles précédents (hop, un lien vers mon blog) en indiquant que pour assurer un salaire décent, un auteur devait arriver à vendre au moins 15 000 exemplaires de son roman. Et oui, car à seulement 8 ou 10% de marge sur le prix TTC du roman, il faut en fourguer du papier pour avoir de quoi manger. Objectif que seuls quelques dizaines de romanciers atteignent dans notre beau pays… Pour les autres, ils ont de quoi se consoler en achetant un paquet de croquettes pour le chat (ou un rouleau de papier toilette) de temps en temps.

De même il faut savoir que l’éditeur ne paye, en général, qu’un an après la publication officielle du roman (oui, vous avez bien entendu, un an, il y a de quoi mourir 365 fois avant de voir son travail rétribué). Dans quelle profession se permet-on de payer après un délai aussi long ? Vous vous voyez faire la même chose chez votre boulanger ?

Et puis, je passe sur le fait que l’éditeur est le seul à connaître réellement les chiffres de vente, qu’il peut les trafiquer selon sa propre volonté, que c’est souvent un très mauvais payeur, voire un pas payeur du tout…

Notre jeune auteur (encore lui), constata que, malgré son beau succès, il n’allait pas pouvoir sniffer de la cocaïne sur le capot de sa Ferrari (tout en se frottant à un mannequin suédois du nom de Grünt) dès la semaine prochaine. Déjà parce que son niveau de vente, bien que très satisfaisant malgré les problèmes précédents, ne lui permettait de toucher que 4 000 euros (ce qui est très bien pour mettre un peu de beurre dans les épinards, mais largement insuffisant pour en vivre), mais surtout qu’exactement un an et un jour après la publication de son roman, son éditeur ne donna plus jamais signe de vie…

Un éditeur, ça ne comprend rien à l’art

Un éditeur est un vendeur. Point. Qu’il vende des bananes, des voitures, du papier toilette, ou des bouquins, c’est pareil. La vision romantique du passionné relayé par les médias est utopique. Et même si elle existait vraiment, il y a des gens au-dessus (directeur éditorial, comité de direction, actionnaires, bref des commissions remplis de vilains capitalistes) qui le ramèneraient à la réalité économique.

Une maison d’édition est une entreprise qui n’a rien de philanthropique (et on le sait d’autant plus quand on voit comment est traité le personnel), elle qui doit faire de l’argent : elle raisonne en termes marketing, en communication, en ventes. Un auteur qui vend mal est poussé vers la porte de sortie. Un auteur qui vend est chouchouté. Dès lors, on assiste naturellement à un mouvement d’homogénéisation culturel. Comment peut-on raccrocher une réelle démarche artistique dans un tel contexte ? Les textes ambitieux ont du mal à se frayer un chemin, les auteurs sont encouragés à toujours faire la même chose, et je ne parle même pas de tenter un « genre » qui se vend mal…

Notre jeune auteur (toujours), enorgueilli par le succès de son ouvrage, fut fort flatté de recevoir des coups de téléphone d’autres éditeurs qui avaient bien apprécié son premier roman, et qui étaient prêts à publier sa seconde merveille. Il leur indiqua, plein de morgue, qu’il était justement en train de la rédiger, une œuvre radicalement différente, audacieuse, ambitieuse, sur une thématique forte. On lui expliqua gentiment qu’il valait mieux qu’il fasse un Pourquoi les gentils ne se feront plus avoir 2. Il indiqua qu’il n’avait pas forcément envie de développer le sujet, qu’il avait peur de se répéter. On ne le rappela pas.

Un éditeur, c’est trop compliqué à atteindre

Il suffit de voir les nombreux blogs de « wanabees » aigres qui fleurissent sur la toile pour se rendre compte de la difficulté à dénicher un éditeur. Beaucoup de concurrence, un système plus ou moins gangréné par le copinage, une volonté de ne plus prendre de risque, un contexte où plus personne ne fait vraiment son travail, bref, réussir à toucher un éditeur c’est presque aussi difficile que de trouver du papier toilette au fin fond de la Thaïlande.

Sachant qu’en plus il faut abattre des quantités phénoménales d’arbres pour envoyer un manuscrit format A4 en Times New Roman 14 avec double interligne (ce qui donne au final 300 pages pour « Oui-Oui va à la plage », alors je ne parle même pas d’une trilogie de fantasy), un coût prohibitif pour un envoi postal, et tout cela pour un livre qui sera à peine feuilleté, (dans plus de 99% des cas, l’éditeur ne donne d’ailleurs jamais suite), je trouve ça un poil trop fort de café.

Solution préconisée par de nombreux auteurs en herbe : se créer un réseau, fréquenter les cocktails parisiens, se faire connaître. Plus facile quand on habite Paris et que papa (ou maman, point de sexisme) subvient aux besoins…

Notre jeune auteur (promis, c’est la dernière fois), une fois la décision actée de quitter son éditeur arnaqueur, partit donc en quête d’un nouvel ami qui saurait faire son travail, saurait le distribuer correctement en librairie, saurait négocier le virage numérique avec intelligence, prendrait une marge correcte et ne serait pas trop difficile à atteindre. Las ! Il s’enquit des lunes et des lunes, mais sa recherche demeura vaine.

À bout de force, épuisé, il échoua au hasard de ses investigations au sommet d’une colline en Chine, demeure d’un vieux sorcier que les villageois du coin pensaient fou. Notre jeune auteur, en désespoir de cause, lui demanda conseil : où pourrait-il trouver la perle rare ? Le vieux sage désigna un bassin rempli d’eau et lui indiqua qu’il y trouverait sa réponse. Le jeune auteur s’y pencha, circonspect, mais n’y trouva que son propre reflet.

Et soudain, il comprit.

Sinon, il vécut heureux et eut beaucoup d’enfants (enfin pas trop quand même, c’est la crise)

Une prochaine fois, j’évoquerai les bonnes raisons qui m’ont poussé à m’auto-publier.

À bientôt les amis ! Et n’hésitez pas à acheter mes livres (je vous en prie) sur Amazon ici, ou ici. Et sinon, vous pouvez aussi me retrouver sur www.jheska.fr.

À propos de l’auteur : J. Heska

Écrivain à succès (enfin, un jour), J. Heska partage sa vie d’auteur entre ses nouvelles, son blog, www.jheska.fr, dans lequel il met en scène quotidiennement ses histoires extraordinairement banales et ses mondes idéaux, et ses romans. Son dernier thriller est sorti en juin.

Pour trouver ces livres, c’est sur Amazon, ici : Pourquoi les gentils ne se feront plus avoir, ou ici On ne peut pas lutter contre le système.

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